Le policier qui a demandé l’asile à Ceuta panique : « Si l’Espagne me renvoie au Maroc, ce sera la fin pour moi »

L’agent rifain qui a réclamé une protection internationale attend depuis une semaine à la frontière de Tarajal la décision de l’Audience Nationale concernant le rejet de sa demande par le Ministère de l’Intérieur.

« Calmez-vous. Vous êtes déjà en Espagne et votre demande de protection internationale va être traitée », se souvient-il des mots avec lesquels le commissaire du poste frontalier de Tarajal, entre Ceuta et le Maroc, l’a calmé. Lundi de la semaine dernière, le policier national M. C., né à Al Hoceima il y a 38 ans, a quitté vers 18h sa guérite du côté marocain du passage international et a marché une cinquantaine de mètres jusqu’à la position du premier agent espagnol. « Non. Il n’y a aucun problème à la frontière. Je veux demander l’asile en Espagne », a-t-il réussi à dire — « en état de choc », souligne-t-il dans son récit — lorsque le chef de police de service est arrivé. Mais il a continué à trembler jusqu’à ce que le commissaire le rassure avec de bonnes paroles. Ils l’ont ensuite accompagné jusqu’aux locaux de Tarajal où il se trouve — « sous surveillance, pas détenu », précise-t-il — depuis lors et où il converse par téléphone avec EL PAÍS après s’être identifié par un appel vidéo, et avoir été interviewé par le quotidien local El Faro de Ceuta.

« Je panique. Si l’Espagne me renvoie au Maroc, ce sera la fin pour moi », assure cet agent de la Sûreté Nationale d’origine rifaine (nord du Maroc, ancien Protectorat espagnol), qui a exercé ses fonctions pendant 15 ans dans des postes tels que la frontière de Melilla ou la gouvernance de Tanger. Périodiquement, il travaillait également à la frontière de Tarajal. « Il y a six mois, j’ai pris la décision de demander l’asile en Espagne », explique-t-il, « il m’était clair que les autorités marocaines ne m’accorderaient jamais l’autorisation de demander le visa d’entrée légale en Europe, même si les consulats l’accordent généralement aux fonctionnaires. » Le 19 du mois dernier était la date choisie. Il n’a communiqué sa décision ni à sa famille ni à ses amis.

L’agent en attente d’asile dit avoir fait des études universitaires en tourisme et obtenu un diplôme de cuisinier avant de réussir le concours d’entrée à l’académie de police de Kénitra (50 kilomètres au nord de Rabat). « Je n’aurais eu aucun problème à trouver un emploi en Espagne », affirme-t-il, « mais le harcèlement et la discrimination des chefs de police m’ont obligé à me présenter directement à la frontière : c’était la seule issue qu’ils m’ont laissée. »

« J’ai été témoin de cas de discrimination de citoyens rifains qui ne parlent pas le darija [arabe dialectal marocain] et qui n’ont pas été pris en charge au commissariat parce qu’ils ne s’exprimaient qu’en amazigh [langue berbère] », raconte-t-il, « et cela est une forme de racisme. Quand je portais plainte, on me disait toujours la même chose : ‘va te faire voir’, ‘ne t’en mêle pas’. » M.C. assure qu’il n’est membre d’aucune organisation politique, ni n’a participé à des mouvements comme le Hirak du Rif, qui entre 2016 et 2017 a déclenché une vague de protestations sociales en raison du manque d’investissements de l’État dans le nord du pays et en défense de l’identité culturelle amazighe. « Je suis un sympathisant du Hirak, je partage ses revendications », reconnaît-il. Nasser Zefzafi, leader des révoltes du Rif, qui ont eu leur épicentre à Al Hoceima, purge une peine de 20 ans de prison avec trois autres dirigeants du Hirak. Une cinquantaine de Rifains ont été condamnés en 2018 à des peines allant de trois à 15 ans de prison.

« Ma vie, ma sécurité physique et mentale sont sérieusement en danger si je retourne au Maroc. Je crains d’être torturé, puni sans laisser de traces, ils peuvent même dire que je souffre de troubles mentaux… Je le sais bien parce que j’ai travaillé au sein de ce système et je sais comment les choses sont gérées dans l’ombre », affirme-t-il dans un message texte postérieur à la conversation téléphonique.

Ce n’est pas la première fois qu’un membre des forces de sécurité marocaines demande l’asile à Ceuta, précise le portail d’information numérique marocain Bladi.net. En juillet 2021, deux mois après l’irruption de près de 8 000 migrants à Ceuta, plusieurs membres des Forces Auxiliaires (police militarisée) avaient atteint ses côtes à la nage pour demander une protection internationale. En septembre 2024, un autre membre de ce même corps de sécurité a été arrêté alors qu’il tentait d’atteindre Ceuta en jet-ski avec le même objectif.

Habituellement, les demandes d’asile à Ceuta se produisent en territoire espagnol, après être arrivées irrégulièrement par mer ou après avoir franchi la clôture frontalière. Une demande de protection internationale à la frontière même, comme celles enregistrées dans les aéroports, est sans précédent au passage de Tarajal. La Commission européenne a proposé le mois dernier d’inclure le Maroc sur la liste des pays « d’origine sûre », c’est-à-dire considérés comme respectueux des droits de l’homme et sans conflits armés internes. Cela implique qu’il y a peu d’arguments pour que leurs citoyens puissent demander l’asile aux frontières des États de l’UE. Bruxelles cherche ainsi à « rationaliser » le traitement des demandes de protection internationale face à ce qu’elle considère comme un effondrement des demandes.

L’ordonnance rendue vendredi par l’Audience Nationale reprenait le contenu de la résolution du Directeur Général de la Protection Internationale, rendue au nom du ministre de l’Intérieur, Fernando Grande-Marlaska, qui a refusé l’asile à l’agent marocain. Elle considérait que les allégations présentées sont « incohérentes, contradictoires, invraisemblables, insuffisantes ou contredisent des informations suffisamment vérifiées sur son pays d’origine. » Pour toutes ces raisons, elle a jugé sa demande « infondée » du fait de « nourrir une crainte fondée d’être persécuté ou de subir un préjudice grave. »

Depuis un bureau de la frontière de Tarajal converti en son logement provisoire, le policier marocain M. C. indique qu’il gagne environ 6 500 dirhams (620 euros), un salaire mensuel qui lui permet de subvenir à ses besoins en tant que célibataire sans enfants dans un pays où le salaire minimum est d’environ 300 euros. Dans son recours devant l’Audience Nationale, il allègue que son origine rifaine et ses plaintes auprès de ses supérieurs pour des cas de paiement de « rascas » (pots-de-vin) que d’autres agents exigeaient à la frontière de Melilla ont entraîné une situation de discrimination professionnelle, ce qui l’a empêché de monter en grade et a entraîné des sanctions successives.

« Le pire, c’est quand d’autres policiers m’ont averti que les mafias de la frontière allaient en finir avec moi, et qu’il valait mieux que je me taise, car mes dénonciations ne serviraient à rien », révèle-t-il. « Il y a beaucoup d’agents qui pensent comme moi ; certains sont déjà partis en Europe avec un visa pour commencer une autre vie. D’une certaine manière, avec ma décision de demander l’asile en Espagne, je me sacrifie dans une situation de grand stress. »

« Ma demande d’asile a été rejetée par le gouvernement espagnol, mais je garde espoir », déclare-t-il après que le tribunal administratif de l’Audience Nationale a admis vendredi une « mesure conservatoire très urgente » qui a stoppé son renvoi jusqu’à ce que l’appel soit résolu. « J’ai subi des injustices, de l’oppression et des tortures psychologiques qui ont laissé une empreinte profonde. J’espère que ma voix sera entendue, que mon cas sera traité avec justice. J’ai pleinement conscience que je subirai des représailles si je suis renvoyé au Maroc », déclare-t-il d’une voix tremblante, tout en implorant que sa situation soit rendue publique. « La nuit, je me réveille effrayé au moindre bruit. Alors je pense qu’ils vont me déporter ou venir me faire du mal », ajoute-t-il. « Ma peur grandit chaque jour. »

Source : El Pais, 28/05/2025

#Maroc #Espagne #Ceuta #Policier_marocain_asile


Visited 40 times, 3 visit(s) today

Be the first to comment on "Le policier qui a demandé l’asile à Ceuta panique : « Si l’Espagne me renvoie au Maroc, ce sera la fin pour moi »"

Leave a comment

Your email address will not be published.


*